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Avant de se lancer dans l’écriture, George Orwell a occupé un poste de policier en Birmanie, pays annexé à l’Empire Britannique des Indes. Il y restera 5 ans avant de démissionner, écœuré par la manière dont les Anglais (comme tous les pays colonisateurs d’ailleurs) traitent les Birmans qui ne sont pour eux que des citoyens de seconde zone, et pillent allégrement les richesses du pays. C’est là que se forge sa conviction que tout homme doit être traité sur un même pied d’égalité. Dès lors, il n’aura de cesse dans ses écrits de dénoncer l’exploitation des plus pauvres par les plus riches ou les plus puissants.
En 1936, George Orwell se rend en Espagne pour se battre au côté des républicains espagnols élus légitimement au pouvoir, qui doivent faire face aux rebelles fascistes menés par le général Franco. Il se joint aux milices du POUM, (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) petit parti à tendance socialiste-libertaire qui correspond le mieux à ses idéaux car il lui apparaît comme « une sorte de microcosme de société sans classes ». En 1937, il est témoin de la liquidation du POUM par le Komintern qui a pris le pouvoir au sein des républicains espagnols et de l’arrestation de ses dirigeants ainsi que de la chasse aux adhérents de ce parti. Lui-même doit fuir clandestinement l’Espagne, sa vie étant menacée. De retour en Grande-Bretagne, George Orwell, atterré par la perception erronée qu’ont les intellectuels occidentaux de l’URSS, est résolu à démontrer que toute révolution basée sur la violence ne peut que déboucher sur un régime totalitaire, SAUF PEUT-ETRE si les populations qui se sont révoltées ont un niveau d’éducation suffisant pour dénoncer fermement toute velléité d’inégalité et s’y opposer.
C’est dans cette optique qu’il écrit en 1944 « La ferme des animaux » description de la révolution soviétique et du système totalitaire qui en a découlé, instauré par Staline. Il veut montrer, étape par étape, comment un tel système parvient à l’asservissement total de sa population. Pour ce faire il choisit la satire, les hommes étant remplacés par des animaux et les pays par des fermes. Tout d’abord, un idéologue charismatique persuade les populations opprimées d’un pays autocratique que leur sort n’est pas une fatalité, mais qu’elles peuvent le changer. Pour les fédérer, le premier « outil » utilisé est un hymne révolutionnaire qui fait appel à leurs émotions, leur promettant un futur heureux où tous seront égaux (les fameux « lendemains qui chantent »).
Cette idéologie est assenée sans relâche par les idéologues jusqu’au soulèvement des populations qui sera provoqué par une situation d’injustice montée à son paroxysme. Une fois le régime oppresseur renversé, le but est d’instiller un sentiment de patriotisme chez les populations pour obtenir leur cohésion par le biais de symboles auxquelles elles peuvent s’identifier : un hymne qui leur est propre, un drapeau, un nouveau nom pour leur nation, de nouvelles lois rédigées par les idéologues, des parades ritualisées, des médailles attribuées à ceux qui s’illustrent par leur bravoure lors de batailles pour défendre leur territoire contre les anciens oppresseurs. Cependant, il y aura toujours des réfractaires qui préfèrent l’ancien régime et qui quittent le pays. Il faut alors mettre en place un plan de travail pour que les populations puissent rester autonomes par rapport aux pays voisins. Les positions hiérarchiques se précisent déjà. Ceux qui planifient le travail mais ne le font pas sont ceux qui sont instruits (ils savent lire et écrire) d’autres s’y adonnent avec ferveur (référence au stakhanovisme), certains font semblant de travailler, et enfin l’écrasante majorité travaille sans se poser de questions.
Très vite émergent des dissensions entre les dirigeants au pouvoir. L’emportera celui qui utilise comme arme la terreur pour l’éviction des autres dirigeants. Pour ce faire, il s’est entouré secrètement d’une milice privée qui lui est totalement dévouée, composée d’éléments de la population embrigadés très jeunes qui n’ont aucun scrupule à être le bras armé de leur chef quel que soit l’ordre qu’il leur donne. Mais les dirigeants dissidents ne sont pas les seuls à être victimes de ce système. Toute contestation, même minime, de la part de certains membres des populations est suivie d’une mise à mort, ce qui provoque un sentiment d’effroi et de sidération chez les populations restantes. Dès lors, le fossé se creuse de manière irréversible entre les populations et leur dirigeant dont l’entourage proche fait l’apologie (culte de la personnalité). Les inégalités se multiplient, le travail devient de plus en plus abrutissant, la nourriture de plus en plus rationnée (des populations épuisées et affamées ont peu d’énergie pour protester). Pour prévenir néanmoins toute tentative de rébellion, de brillants orateurs tiennent des discours trompeurs aux populations pour mieux les manipuler.
Toutes les erreurs, incompétences, incohérences du système en place sont attribuées à un bouc émissaire, en l’occurrence le ou les dirigeants évincés. Ainsi se réécrit l’histoire de la révolution en même temps que se développe la manipulation des populations par des slogans simplistes qui s’écartent de plus en plus des lois originelles. Le système atteint à son apogée quand l’ancien dirigeant révolutionnaire fait alliance avec les oppresseurs d’antan. Dès lors, plus rien ne les distingue. La révolution aura eu lieu en vain.
Valérie KROL Novembre 2020